Récemment nommé directeur de l’Opéra de Flandre qui rassemble les opéras d’Anvers et de Gand, Aviel Cahn a fait le pari osé de monter une version moderne de Samson et Dalila, l’opéra de Camille Saint-Saëns et d’en confier la mise en scène à un duo de metteurs en scène, l’israélien juif Omri Nitzan et l’arabe israélien Amir Nizar Zuabi.
Avant d’aborder la critique à proprement parler de cette version de Samson et Dalila qui a déjà fait couler beaucoup d’encre en Flandre, en Belgique et même jusque dans le New York Times, revenons quelques instants sur le mythe de Samson dans la Bible. Né afin de délivrer Israël des Philistins, et élevé comme un nazir, c'est-à-dire entièrement consacré à Dieu, il dispose par sa grâce d’une force surhumaine dont le secret réside dans sa chevelure qui ne lui a jamais été coupé. Cependant, sa puissance dérange, particulièrement parmi les Philistins qui, ne pouvant le vaincre frontalement, décident d’employer la ruse et essayent de le faire succomber aux charmes de la vile Dalila. Par trois fois, celle qui l’a séduit lui demande de lui révéler son secret et par trois fois Samson parvient à la tromper, mais la quatrième fois est la bonne. Les Philistins peuvent alors s’emparer de lui, lui couper les cheveux et lui crever les yeux. Alors qu’ils célèbrent leur victoire, Samson fait une nouvelle fois appel à Dieu et l’implore de lui redonner, pour une seule et dernière fois sa puissance surhumaine. Celui-ci accède à son désir ce qui permet à Samson de faire céder les colonnes de l’édifice dans lequel il est retenu prisonnier, le réduisant en ruine et faisant périr ses ennemis dans les décombres. Certains disent donc que Samson est le premier terroriste kamikaze de l’histoire de l’Humanité et qu’il aurait par sa mort causé plus de victimes que de son vivant.
Il n’en fallait pas plus pour donner l’idée aux metteurs en scène d’inverser les rôles et de donner à Samson les traits d’un Palestinien en révolte contre les occupants israéliens et c’est à ce spectacle qu’il nous a été donné d’assister à l’Opéra de Gand ce mardi 19 mai 2009. (pour d'autres détails sur cette soirée, se reporter au message précédent ...)
D’un point de vue purement technique, le travail effectué est absolument remarquable. Les chanteurs sont brillants, les chœurs impressionnants, l’orchestre est parfait, la mise en scène qui joue sur deux scènes superposées et mobiles où les Philistins-Israéliens tiennent le haut du pavé et passent leur temps à danser et à boire du champagne pendant que ces pauvres Palestiniens-Hébreux (c’est assez difficile à écrire) vivent dans leur ombre, si ce n’est pas à leur merci- est très intéressante, de même que les chorégraphies de séduction des Philistines.
Là où les choses se compliquent, c’est au niveau du point de vue politique des scènes qui nous sont exposées. Dans le premier acte, certaines images sont déjà fort dérangeantes. Ainsi, l’ouverture sur le chœur des Palestiniens-Hébreux, mené par Samson le terroriste et un vieillard aux des faux airs d’Oussama Ben Laden et s’agenouillant périodiquement en prière est particulièrement inquiétante. De même, la violente diatribe de du Grand-Prêtre de Dagon, contre le Dieu et le peuple d’Israël est rendu encore plus difficile à supporter quand celui-ci est vêtu en rabbin et coiffé d’une kippa. Par la suite, lors d’une altercation entre les Palestiniens et l’armée philistine, c’est - on a envie de dire naturellement - un enfant palestinien qui en fait les frais et est tué en même temps qu’un soldat.
Après l’entracte, la pièce et la caricature reprennent mais ce qui aurait pu être une farce subversive tourne de plus en plus au trivial et au grossier. Toutes les clés de la lecture simpliste de cette mise en scène ont déjà été données au premier acte et la suite n’apporte rien de plus, les philistins-israéliens comme leur armé sont vulgaires et jouissent explicitement de leur pouvoir alors que les pauvres terroristes palestiniens sont maltraités et humiliés. Passons rapidement sur l’interlude sans parole entre le deuxième et le troisième acte qui atteint l’apex du grotesque alors que l’enfant tué au premier acte revient, omniprésent dans toute la suite de l’opéra et peint en rouge sang comme une sorte de symbole. C’est d’ailleurs de lui que viendra le deus ex machina final, lorsqu’il portera à Samson la ceinture d’explosive du premier terroriste qui manque tellement d’originalité qu’on se prend à espérer qu’elle arrivera plus vite.
Mais même dans la subversion, les choses ne vont pas jusqu’au bout. Ainsi, les militaires israélo-philistins ne portent pas des uniformes de Tsahal et les terroristes qui se préparent cachent leurs visages dans des foulards blancs quand on aurait attendu des keffiehs. Pourquoi s’arrêter en si « bon » chemin et ne pas s’engager ainsi pleinement dans la facilité ? On pourrait presque être déçu si l’on n’était pas simplement déçu de voir autant de talents et de moyens mis dans une production artistique au service d’un projet qui ne sert finalement qu’à exacerber des rancoeurs sans proposer la moindre solution alors même que le travail commun de deux israéliens, l’un juif et l’autre arabe devrait pouvoir initier des perspectives toutes autres …
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire